Beyrouth 2024
Le 10 décembreNouvelles
Une paroisse en temps de guerre
La guerre a débuté au Liban le 16 septembre 2024. Les premiers jours de la guerre, les Libanais se sont précipités dans les supermarchés pour faire des réserves pour pouvoir tenir un mois ou deux. Les femmes de la paroisse craignaient beaucoup que leurs employeurs les abandonnent et partent sans elles à l’étranger. La presse a relaté beaucoup d’abandons de la sorte et l’histoire de femmes qui se retrouvaient du jour au lendemain dans la rue. Heureusement, au sein de la paroisse, personne ne s’est retrouvée à la rue. Il y a aussi eu la peur des premiers temps, personne ne savait où Israël allait bombarder alors personne n’osait sortir de chez soi. Les cultes étaient un peu désertés dans les deux premiers dimanches de la guerre, beaucoup de nos paroissiennes n’avaient plus le droit de sortir. Dès les premiers bombardements, Beyrouth a connu un afflux de population venant du sud. La venue ces déplacés a fait craindre très vite des tensions communautaires, la plupart de ceux qui essayaient de s’échapper des bombes étant chiites et soupçonnés d’appartenir de près ou de loin au Hezbollah. Que se passerait-il si cette population s’installait en zone chrétienne et que parmi elle se cacherait des responsables du parti chiite qu’Israël voulait tuer ? A côté de cela, il faut souligner les grands élans de solidarité de certaines paroisses chrétiennes, de la population, de nombreuses associations religieuses ou laïques et aussi du protestantisme libanais qui a été, à sa mesure, tout à fait à la hauteur de l’événement. Peu à peu nous nous sommes installés dans la guerre avec l’idée fausse que les bombes ne concernaient que le Hezbollah. Les cultes ont repris leur couleur d’antan. Mais, il y a trois semaines, une bombe a éclaté de l’autre côté de la rue du cimetière et a détruit tout un immeuble, c’était à la sortie d’un culte. Certes nous n’étions pas visés mais la peur que nous avons ressenti ce jour-là nous a rappelé que nous étions dans un pays en guerre. Les problèmes sociaux qui sont courants dans la paroisse en temps normal, si je puis dire, ont augmenté pendant cette période de guerre. Les enfants ne dormaient plus à cause des bombes et d’une manière générale on s’habituait à la guerre dans nos déplacements mais elle entrait insidieusement dans notre corps, nous ne supportions plus le bruit des bombes la nuit et le bruit volontairement brise nerf de ces drones espions israéliens qui toute la journée prenaient photos et renseignements pour pratiquer le soir venu des frappes que l’on disait « ciblées ». Dans ces moments-là on se dit que l’Eglise a tout son sens : lieu d’une communauté qui non seulement pratique l’entraide mais, aussi par sa pratique liturgique dominicale, peut rendre confiant dans l’avenir. Nous sommes entre contingence et éternité. J’ai mesuré pendant ce temps de guerre que ce n’était pas seulement une question théorique.
Le cessez-le-feu a été décrété par les belligérants le 27 novembre et nous espérons que cela durera au-delà des soixante jours. Ces moments dramatiques nous ont permis de repenser les liens qui nous unissent. Nous avons pu maintenir les cultes chaque dimanche et c’était notre manière de résister à l’absurdité de la guerre, à l’illusion de la puissance de ceux qui ont oublié qu’ils ne sont, comme nous, que des enfants de Dieu. Nous avons pensé à cette faiblesse dont parle l’apôtre Paul et à cette force que nous donne l’Evangile quand il peut être proclamé partout où l’homme et la femme sont niés. Nous ne résisterons sans doute pas aux bombes mais inchallah, peut-être, à l’incohérence du monde.
Brice Deymié, Eglise protestante française au Liban
Beyrouth Le 10 décembre 2024